"On remarque encore l'inscription du temps dans une œuvre intitulée « Osselet ».(...) Si la texture de ces formes blanchâtres évoque d'abord un grès patiemment poli, on comprend à y regarder de plus près qu'il s'agit de ces cylindres en sel que l'on met à disposition des chèvres pour satisfaire leurs besoins en sels minéraux. L'action de l'artiste, qui pour autant n'est pas des moindres, a simplement consisté à apprécier la qualité esthétique de ces sculptures fortuites résultant d'un lent processus de consommation (...)
En s'associant à ces collaboratrices involontaires, Jérémy Laffon ajoute aux multiples significations de cette œuvre une dimension humoristique qui ne nous aura pas échappée : on pourra méditer sur l'apparente proximité entre le geste de l'artiste informant patiemment la matière et le coup de langue infiniment répété de la chèvre (...)
Cette collision entre le ready-made agricole et l’œuvre minimale par excellence ne manque pas de réelles significations. Disons simplement que la problématique en jeu pourrait se résumer en une formule : la question du lieu / du site. En effet, c'est Carl André lui-même qui affirme dans un entretien de 1970(*) : « L’idée que je me fais de moi-même est que je suis le premier des artistes « post-studio » (ce n'est sans doute pas vrai). Mais mes objets sont conçus dans le monde. Pour moi, ils commencent à exister dans le monde, et le monde est fait d'espace différents : espaces intérieurs de galeries, espaces intérieurs d'habitations privées, espaces intérieurs de musées, grands espaces publics intérieurs et et aussi différents types d'espaces extérieurs.»
Camille Videcoq, 2012
* Phyllis Tuchman, « An interview with Carl André » in Artforum, juin 1970, reproduit dans Art Minimal II, CAPC 1986, p 33
vue de l'exposition "Jusqu'à épuisement", Vidéochrinque, MArseille, 2012